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    Dans la grisaille du milieu urbain et, à plus forte raison, dans la pauvre lumière de la périphérie, il est bon de rêver à des pays de ciel bleu, de fontaines et de pétanque sous les platanes. Mais parler du Kremlin-Bicêtre et de la côte de Villejuif à la terrasse d'un café du cours Mirabeau à Aix-en-Provence, c'est beaucoup moins banal.
    Blaise Cendrars ponctuait la fin de ses phrases par un : "C'est comme ça", indiscutable.
    Il me racontait comment fonctionnait le territoire zonier au temps de ma petite enfance, une jungle avec ses lois féroces.
    Je connaissais déjà l'histoire de l'appariteur venu apporter quelques convocations et qui était ressorti tout nu. Son bel uniforme avait dû faire l joie des gosses qui, vraiment, avaient bien besoin de textile. J'avais assisté à des bagarres de ruelles. J'étais dans le cercle des spectateurs. Certains donnaient des conseils de technicien : Cogne-lui la tête par terre!
    Ce n'était guère qu'une cité de transit, comparée à la zone qu'avait connue mon aîné. Une réserve de chiffonniers, de misérables et de malfrats de tout poil, en pleine sauvagerie.
    J'ai bien aimé sa façon de répondre en grognant au salut d'un conservateur en costume folklorique de félibre... qui avait interrompu son monologue.
    A cette époque, pratiquer la photographie n'était pas particulièrement glorieux. Cendrars n'était pas d ceux qui passent le pouce pour savoir si la carte de visite est gravée. Il accordait la priorité au potentiel d’énergie indispensable à ceux qui ne peuvent s'abriter derrière les disciplines académiques.
    Lui n'a ps qualifié de "populistes" les images faites en déambulant dans les rues... Je lâche ce chien de ma chienne pour Aragon. Passons.
    Mes photographies, brutes de décoffrages, plaisaient à Cendrars. Il me l'a dit.
    "Nous allons faire un livre."
    A distance, il m'a téléguidé.
    L'homme riche, celui qui peut tout acheter, ne peut s'offrir un aussi beau cadeau que celui apporté un beau matin par le facteur de Montrouge.
    Imprimé, relié, avec, de surcroît, mon nom sur la couverture, le livre, La banlieue de Paris, avec son texte éblouissant. C'est bien simple, il a fallu que je m'y reprenne à deux fois pour le lire tellement j'étais ému.
    Si la magie va se nicher quelque part, je ne vois rien de plus convenable pour elle que les recoins où viennent se blottir les solitaires pour écrire, dessiner ou composer.
    La cuisine-tanière de la rue Georges-Clemenceau avec l'ampoule nue qui pendouillait au-dessus d'une table en bois blanc était un de ces refuges respectables. C'était en 1945, L'homme foudroyé venait de paraître.Combien de nuits ont été nécessaires pour libérer ce torrent de souvenirs vécus ou rêvés? Cendrars m'a offert le premier exemplaire avec, en travers de la page de garde, une dédicace à faire mourir de jalousie tout un troupeau de collectionneurs. (*)
    Le baron Mollet a longtemps promené son titre de secrétaire d'Apollinaire. L'humoriste Cami était officiellement l'ami de Charlie Chaplin. Je ne veux pas faire profession d'avoir connu Cendrars.
    La table de bois blanc, l’abat-jour avec le papier collé pour protéger ses yeux, le jardin paradis de Saint-Segond, zut! je me les garde.

    * A l'ami Doisneau, photographe zonier, Beauceron, qui retrouvera le Kremlin-Bicêtre et N.-D. de Chartres au tournant de quelques pages et qui est le premier à qui j'écris une dédicace dans un exemplaire de l'Homme foudroyé.
    Avec ma main amie. Blaise Cendrars.
    19 octobre 1945 - Aix-en-Provence

    "A l'imparfait de l'objectif" Robert Doisneau

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    Vivian Maier est la photographe la plus célèbre au monde, parce qu’au-delà de son talent et son incroyable histoire, elle est celle que vous voulez qu’elle soit. Vivian, c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde, et personne à la fois.

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    Il m'avait toujours accueilli avec beaucoup de bienveillance quand je venais, rue du Douanier, faire quelques travaux de sélection couleur.
    Les gestes du métier l'intéressaient. Ma façon de canaliser la lumière à l'aide de vieux journaux paraissait l'amuser. Il ne me quittait pas des yeux pendant les opérations.
    Pour Le Point, la revue de Pierre Betz, on ne pouvait concevoir un numéro spécial Georges Braque sans photos de son atelier de Varengeville.
    Je roulais donc vers la Normandie. Le jour s'était levé après la traversée de Vernon. Filant sur la route mouillée, je voulais être sur place de bonne heure.
    Après Dieppe, une dizaine de kilomètres avec les hésitations de fin de parcours et, enfin, Varengevilke, où j'arrive haletant.
    Braque m'a fait visiter la maison basse et l'atelier dans le jardin. C'est là qu'à commencé la séance de photos.
    C'était un bon modèle, du genre résigné. Il se prêtait avec des gestes lents à mes suggestions. Nous n'avons pas échangé plus d'une douzaine de mots dans la matinée.
    Puis l'ombre d'une silhouette est venue dans la porte. Petits signes discrets.
    "Nous reprendrons à deux heures, ça vous va? Il faut que je passe à table. Débrouillard comme vous l'êtes, vous trouverez bien un petit restaurant dans le coin!"
    Débrouillard, il fallait le prouver. Les si jolies petites plages, en ce début octobre, avaient fermé leur volets.
    Mais c'était la règle : Braque n'invitait pas. Besoin de poursuivre sa méditation tout en mastiquant? Mesure d’économie. Un souci qui, peut-être, l' amené au choix des natures mortes: elles évitent les frais de modèles. Mais ceci n'est qu'une supposition, également gratuite.
    Non, il avait probablement ce besoin de paix et de silence qu'il faisait régner autour de lui.
    Que ce soit à Paris ou à Varengeville, les toiles étaient disposées de la même façon, certaines appuyées le long des plinthes, d’autres posées à même le sol. Il y avait également deux chevalets avec des ébauches. C'était l'aquarium. Braque baignait dans Braque.
    Tous les objets, les drôles de pupitres faits d'une branche fourchue, les statues nègres, les coquillages, tout un ensemble qui, ailleurs, aurait pu paraître hétéroclite entrait sagement dans l'ordre de la maison.
    Braque a écrit quelque part : "J'ai le souci de me mettre à l'unisson de la nature bien plus que de la copier."
    Venant de la part d'un homme fort avare de parole, cette déclaration a dû émouvoir plus d'un amateur de théories.
    Ultime photo : Braque un peu voûté, dans un sentier au milieu des dunes, mains dans le dos, allant vers sa chère solitude.

    "A l'imparfait de l'objectif" Robert Doisneau

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    Vous pensiez que la retouche des portraits est liée à l’arrivée de Photoshop ? Détrompez-vous ! L’art d’embellir les photos de portrait existe depuis les débuts de la photographie, comme en témoigne un manuel d’apprentissage, publié il y a plus d’un siècle.

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